Réalisé par Laetitia Moreau et Olivier Dubuquoy, le documentaire « Zone rouge » raconte l’histoire d’un demi-siècle d’une pollution marine et terrestre autorisée par l’État dans les Bouches-du-Rhône.
Marseille, correspondance
« Là dedans il y a de l’arsenic, du titane, de la radioactivité. Tout ce qu’il ne faut pas mettre dans la Méditerranée », s’énerve Gérard Carodano, les mains pleines de boue rouge qu’il enlève d’une raie. Le poisson a traversé un banc de cette boue qui se déplace au fond de la mer « de Martigues jusqu’à Toulon », affirme le pêcheur de La Ciotat. La scène est extraite du documentaire de Laetitia Moreau et d’Olivier Dubuquoy Zone rouge, Histoire d’une manipulation toxique.
L’enquête racontée par ce film montre comment, depuis 1963, Péchiney puis les autres propriétaires de l’usine d’alumine de Gardanne (Rio Tinto Alcan et aujourd’hui Alteo) sont parvenus à obtenir de l’État une autorisation de rejet de leurs déchets en Méditerranée et à détourner l’opinion publique de la pollution imposée également à terre. La production dans la cité industrielle des Bouches-du-Rhône a commencé en 1893. À grand renfort de soude et d’eau, l’alumine est extraite de la bauxite par le procédé Bayer. Résidu de ce procédé d’extraction, une boue rouge, chargée de soude, d’arsenic et de métaux lourds, en quantité considérable. En 1963, Péchiney demandait à l’État de pouvoir déverser ses effluents au fond de la mer. Elle proposait de le faire grâce à un pipe-line de 50 km débouchant dans la fosse de Cassidaigne, au large des calanques de Cassis.
La contestation s’organisa. Le médecin et biologiste Alain Bombard, connu pour être un défenseur de la mer et parce qu’il avait été « naufragé volontaire », ne ménagea pas ses efforts. « La porte s’ouvre à toutes les pollutions industrielles massives. Qui viendra interdire à une société ses rejets alors qu’une autre société vient d’avoir l’autorisation de faire ce rejet qui est pour elle une économie ? », demandait le scientifique. A contrario, Jacques-Yves Cousteau, pourtant réputé amoureux de la Méditerranée, affirmait que les rejets étaient inoffensifs. Le Commandant était lié à Péchiney. Son bateau, La Calypso, avait même participé au sondage des fonds marins en vue de construire la canalisation de l’industriel. Le grand public de l’époque ne le savait pas. En 1966, la firme a commencé à déverser ses boues.
Le « grave précédent » prophétisé par Alain Bombard s’est concrétisé en 1972. La société italienne Montedison déversa par bateau ses boues rouges au large du Cap Corse. Sur fond de nationalisme, les Corses ont manifesté avec ardeur. En septembre 1973, un bateau de la Montedison était dynamité en pleine mer. La société fut visée par un procès, qui a abouti à une condamnation en 1985. Mais, sur le continent, Péchiney continuait les rejets sans être inquiété. En 1996, l’autorisation donnée à l’usine par l’État était renouvelée pour 20 ans. Ni les ministres de l’Écologie Corinne Lepage, Delphine Batho et Ségolène Royal, ni les manifestations ne sont parvenues à faire cesser les rejets en mer. Quant au Parc national des calanques, créé en 2012, il a approuvé la poursuite des rejets.
Depuis le 1er janvier 2016, Alteo n’est plus autorisée à rejeter des déchets solides en mer. L’usine s’est équipée de « filtres-presses » qui séparent l’eau des résidus de bauxite. Mais soude et arsenic continuent de se répandre par la canalisation. Quant aux solides, Alteo espère les commercialiser comme matériaux sous le nom de « Bauxaline ». En attendant, ils sont envoyés non loin de l’usine, sur la colline de Mange-Garri, utilisée comme décharge jusque dans les années 1960. Les poussières issues du stockage en plein air posent de graves problèmes sanitaires. Des riverains témoignent être victimes de cancers. Les études diligentées par l’industriel affirment pourtant l’innocuité des boues rouges, alors que les analyses de la société civile apportent des preuves de toxicité et de radioactivité.
Olivier Dubuquoy, qui se considère « avant tout comme un militant », ne désarme pas. La pétition qu’il a lancée pour l’interdiction des « rejets toxiques en mer et à terre » a recueilli à ce jour plus de 363.000 signatures. Le 20 avril dernier, le tribunal administratif de Paris lui a donné raison en ordonnant de rendre accessible sous un mois le compte-rendu de la réunion interministérielle du 13 novembre 2015, au cours de laquelle le Premier ministre Manuel Valls a imposé la poursuite des rejets contre l’avis de la ministre de l’Environnement Ségolène Royal. « On nous affirme que c’est une production stratégique. Reste à savoir pour qui ? Et pourquoi ? » interroge Olivier Dubuquoy. De quoi faire un deuxième film. « L’enquête se poursuit », avertit le militant.
DEUX PROJECTIONS PRÉVUES JEUDI ET VENDREDI
Deux projections du film sont prévues en présence d’Olivier Dubuquoy à Paris et Marseille. Entrée libre, dans la limite des places disponibles :
- Paris : jeudi 27 avril à 17 h, dans le cadre de la reprise du palmarès du Figra à la Scam, 5 avenue Velasquez (métro Monceau) ;
- Marseille : vendredi 28 avril à 20 h, au MUCEM, J4.
Zone Rouge - Bande Annonce from Bachibouzouk on Vimeo.
Lire aussi : Boues rouges : un chantage à l’emploi pour polluer les calanques
Source : Pierre Isnard-Dupuy pour Reporterre
Photos : © Gaëtan Hutter (extraits du film)
. chapô : l’usine d’alumine de Gardanne.
. baie de Cassis : © Pierre Isnard-Dupuy/Reporterre
. Figra : © Olivier Montels/France Télévision
Source : https://reporterre.net/Zone-rouge-enquete-sur-un-demi-siecle-d-une-pollution-couverte-par-l-Etat-les