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3 janvier 2017 2 03 /01 /janvier /2017 13:33

 

 

8 décembre 2016 / par Emilie Massemin (Reporterre)

Dans le nucléaire, la transparence est un combat

Rapport d’audit noirci aux trois quarts, réponses tardives aux demandes d’informations, invocations du secret industriel et commercial... Obtenir des informations sur la filière nucléaire reste très difficile pour les acteurs de la société civile. Même si la loi sur la transparence de la sûreté nucléaire de 2006 a amélioré la situation.

 

Cet article est le quatrième d’une série que Reporterre consacre au nucléaire français. Nous publions également une carte du parc nucléaire, détaillant la situation centrale par centrale.
. 1 « Des coupures de courant se préparent en cas d’hiver rigoureux ».
. 2 « Sept réacteurs nucléaires autorisés à redémarrer, malgré un défaut dans leur acier ».
. 3 « Au coeur de la crise nucléaire, des dizaines de fraudes et d’irrégularités dans une usine Areva ».

 

« Quand on a appris que l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) avait commandé un audit externe à Areva, on s’est dit que ce problème de cuve était l’arbre qui cache la forêt. » Laura Hameaux et ses collègues du réseau Sortir du nucléaire ont vu juste. Le travail mené en 2016 par le cabinet indépendant Lloyd’s Register Apave a révélé 88 irrégularités concernant des pièces de réacteurs en fonctionnement forgées à l’usine Areva du Creusot. 6.000 dossiers de fabrication sont actuellement à l’étude, à la recherche de nouvelles anomalies.

 

Le réseau Sortir du nucléaire et l’association Greenpeace ont réclamé à l’ASN le rapport de l’audit réalisé chez le forgeron. « L’ASN nous a répondu en nous envoyant un dossier caviardé aux trois quarts, rapporte Mme Hameaux. Elle nous a expliqué qu’elle avait demandé son avis à Areva sur ce qui était transmissible ou pas, et qu’Areva avait noirci toutes ces pages au nom du secret commercial et industriel. Elle nous a annoncé qu’elle avait saisi la Commission d’accès aux documents administratifs (Cada). »

 

Les deux organisations ont également saisi la Cada en septembre dernier. Laquelle leur a finalement donné raison, dans un avis rendu public en novembre. « Elle a jugé que le rapport peut être communiqué et que c’est à l’ASN de décider ce qui est communicable ou pas. Elle précise que tout ce qui relève de l’organisation du travail à l’usine du Creusot ne relève pas du secret industriel et commercial », se réjouit la porte-parole de Sortir du nucléaire. Les deux associations ont depuis rédigé une lettre à l’ASN lui demandant de transmettre le rapport d’audit, sans réponse pour le moment.

 

« L’industrie nucléaire fait preuve d’une grande opacité »

Cette histoire est un des multiples exemples illustrant la difficulté, pour les associations et la société civile, à obtenir des informations sur la filière nucléaire française. « L’industrie nucléaire fait preuve d’une grande opacité, observe Mme Hameaux. Quand nous avons enquêté sur les transports de matières nucléaires, nous avons obtenu beaucoup d’informations côté allemand, notamment la liste de tous les convois avec leur provenance, leur destination, leur niveau de radioactivité, etc. En France, ce document n’existe pas ! Les maires ne sont pas informés du passage d’un convoi radioactif dans leur village, contrairement aux bourgmestres belges qui sont prévenus 48 heures avant. »

 

La situation s’est tout de même améliorée depuis la loi du 13 juin 2006 relative à la transparence et à la sécurité en matière nucléaire (TSN), qui prévoit que « toute personne a le droit d’obtenir (...) les informations (...) sur les risques liés à l’exposition aux rayonnements ionisants pouvant résulter de cette activité et sur les mesures de sûreté et de radioprotection prises pour prévenir ou réduire ces risques ou expositions ». Par cette loi, l’ASN a été fondée en tant qu’autorité administrative indépendante.

 

Le maire-adjoint honoraire de Grenoble, Raymond Avrillier, s’est battu pour la fermeture de Superphénix, un prototype de réacteur nucléaire fonctionnant au plutonium mis en service en 1984 et définitivement arrêté en 1996 : « Quand notre association Européens contre le nucléaire a révélé en 1987 les fuites de sodium entre les deux cuves du barillet de stockage du combustible de SuperPhénix, il n’y avait pas d’autorité de sûreté indépendante du gouvernement et du Commissariat à l’énergie atomique (CEA) et aucune information pluraliste », se souvient-il. Aujourd’hui, même s’il estime les progrès « très insuffisants », il apprécie d’avoir « trois interlocuteurs différents : l’exploitant, censé transmettre ses données relatives à l’environnement conformément à l’article L124-1 du Code de l’environnement ; l’ASN ; et le gouvernement, qui doit informer les citoyens de ses décisions relatives à la sûreté ».

 

« Le principal acteur de la transparence est l’ASN, confirme Guillaume Blavette, membre du collectif « Stop EPR, ni à Penly, ni ailleurs ». Elle a publié ses échanges de courriers avec EDF concernant les défauts de la cuve de l’EPR [une concentration excessive de carbone découverte en 2014, NDLR]. C’était borderline [limite] au niveau du droit mais elle l’a fait quand même. » Mais elle ne renouvelle pas l’exercice à chaque nouvelle crise. « A part pour la cuve, on ne connaît pas la teneur des échanges techniques entre le régulateur et l’exploitant », regrette M. Blavette. En revanche, selon lui, il n’y a pas grand-chose à attendre d’EDF : « Le groupe répond de plus en plus à nos sollicitations mais de manière très formalisée, sans rien révéler. Il a très bien compris comment contourner la loi de 2006. »

 

Le parcours du combattant de l’information au sein des Cli

Dans le nucléaire, la transparence est un combat

La loi TNS a également renforcé les commissions locales d’information (Cli), auparavant encadrées par une simple circulaire de 1981 signée par le premier ministre de l’époque Pierre Mauroy. Ces organisations, qui réunissent élus, associations et habitants vivant à proximité d’une centrale, ont pour objectif d’apporter une expertise citoyenne et de sensibiliser la population au risque nucléaire. Pour elles aussi, obtenir des informations détaillées dans un délai raisonnable relève parfois du parcours du combattant.

 

Patrick Maupin est chargé de campagne énergie-climat à Greenpeace Bordeaux et membre de la Cli du Blayais. « Quand j’ai appris par voie de presse qu’un certain nombre d’irrégularités avaient été découvertes concernant des composants de réacteurs en fonctionnement, j’ai écrit en mai 2016 à l’ASN Bordeaux pour lui demander si les réacteurs du Blayais étaient concernés. Le président de la Cli a fait de même. Nous avons reçu une réponse de l’ASN le 20 juin, qui nous apprenait que les réacteurs 1 et 3 étaient concernés », se souvient-il.

 

Puis, fin août, il a appris que ces deux réacteurs étaient autorisés à redémarrer. « J’ai renvoyé une lettre, parce que je n’avais pas eu de réponse précise sur les anomalies détectées : quelles étaient-elles ? Comment avaient-elles été traitées ? » Dans sa réponse du 3 novembre, l’ASN l’informait que sept irrégularités concernant Blayais 1 étaient des écarts au référentiel de construction et qu’un des générateurs de vapeur de Blayais 3 présentait des valeurs de résilience non conformes. « Bien sûr, la réponse est compréhensible, admet M. Maupin. Mais l’ASN n’a jamais pris les devants pour nous informer de la situation de ’nos’ réacteurs. Il y a toujours un certain délai entre nos demandes et ses réponses. Et ces courriers ne permettent pas de se faire une idée tellement précise de la situation : qu’est-ce qu’elle entend par ’écart’ ? Un écart de valeur, de fabrication ? De quel pourcentage et avec quelles conséquences potentielles ? »

Un cruel manque de moyens financiers

Réunion d’une Commission locale d’information dans l’Ain en 2014

Réunion d’une Commission locale d’information dans l’Ain en 2014

« Il n’y a pas de réelle volonté de faire des Cli des organes qui pourraient aller au bout de leur mission », regrette le chargé de campagne à Greenpeace. Un constat largement partagé lors de la 28e conférence des Cli, le 16 novembre dernier. « Quels sont les moyens accordés aux membres des Cli qui sont salariés par ailleurs ? Aujourd’hui, je suis censé être au travail. Certains doivent prendre des jours de congé pour venir. Si on veut une réelle transparence, il faut évoquer ces questions », a lancé un représentant syndical à Jean-Yves Le Déaut, député et membre de l’Opecst. « A Paluel, nous voulons avoir les moyens de réaliser des contre-expertises. A quand un renouvellement de nos financements ? », a réclamé un membre du réseau Sortir du nucléaire.

 

La loi TNS prévoyait qu’un pourcentage de la taxe sur les installations nucléaires de base serait attribué aux Cli, mais ça n’a jamais été appliqué. Actuellement, le budget annuel pour l’ensemble des Cli est d’un million d’euros, « soit 70 centimes par personne et par an pour chaque personne qui habite dans un périmètre de 10 kilomètres autour d’une centrale », a ironiquement calculé le président de l’Anccli Jean-Claude Delalonde. Le gouvernement s’était engagé à rendre un rapport sur cette question avant le 1er juillet 2016, « mais toujours rien ».

 

Raymond Avrillier, lui, relativise ces questions financières : « Le pire ennemi de l’information, c’est la passivité. Il faut que tout le monde, toutes les Cli posent des questions écrites comme nous le faisons à Sortir du nucléaire, à l’Association pour le contrôle de la radioactivité dans l’Ouest, autour de Fessenheim ou du Blayais... C’est une méthode de prévention des risques qui repose sur la pression constante de la vigilance citoyenne. »


POURQUOI EDF N’EST-ELLE PAS DAVANTAGE SANCTIONNÉ ?

Dans le nucléaire, la transparence est un combat

Le parquet de Paris a ouvert une enquête préliminaire sur l’anomalie détectée sur le réacteur Fessenheim 2 après une plainte de Greenpeace et d’autres associations, a-t-on appris lundi 5 décembre par l’AFP. L’enquête, confiée à la gendarmerie, a été ouverte sur les mêmes chefs que ceux mentionnés par la plainte de Greenpeace visant Areva et EDF : mise en danger délibérée de la vie d’autrui, usage de faux, utilisation d’un équipement à risque ne satisfaisant pas aux exigences essentielles de sûreté et déclaration tardive d’un incident risquant d’avoir des conséquences notables sur la sécurité de l’installation.

 

Le réseau Sortir du nucléaire est coutumier de ce genre de poursuites. « On a bâti une stratégie juridique pour mettre fin à l’impunité des exploitants, explique Laura Hameaux. Le droit du nucléaire est complexe, les parquets débordés ont tendance à se militer à de simples rappels à la loi. » Raymond Avrillier, lui, pointe « la passivité des préfets qui ne saisissent pas le parquet quand il y a suspicion de manquement à la sûreté, la passivité du parquet qui ne s’auto-saisit pas, la passivité de la justice administrative ».

 

Concernant l’affaire des irrégularités au Creusot, l’ASN a annoncé avoir fait un signalement au procureur de la République – une démarche rare. « La loi ne permet pas à l’ASN de saisir la justice », rappelle Guillaume Blavette, qui dénonce la faiblesse du régime de sanctions prévu par la loi de transition énergétique : « Elle prévoit des amendes de 3.000 et 4.000 euros. Il y a une complète disproportion entre des peines minimes et des manquements potentiellement graves à la sûreté nucléaire. » Pour le membre de « Stop à l’EPR, ni à Penly, ni ailleurs », il est néanmoins important de poursuivre cette stratégie judiciaire : « On cherche à construire une jurisprudence : certes, on a des peines qui ne sont pas très hautes, mais on essaie de faire en sorte qu’elle ne baissent pas trop. »

 

Source : Emilie Massemin pour Reporterre

 

Photos :
. Manifestation à Flamanville le 1e octobre 2016. © Emmanuel Brossier/Reporterre
. Commission locale d’information (Préfecture de l’Ain)



Documents disponibles

Avis de la Cada du 6 octobre 2016

 

 

Source : https://reporterre.net/Dans-le-nucleaire-la-transparence-est-un-combat

 

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