Par Pierre Recarte, vice-président du CADE
9 décembre 2016
Après l’avis défavorable donné par la commission d’enquête publique en mars 2015, certains pouvaient penser qu’un coup d’arrêt définitif avait été donné au projet de lignes à grande vitesse (LGV) entre Bordeaux-Toulouse et Dax.
Ce serait mal connaître nos décideurs. Ce serait aussi mal connaître leur mauvaise foi et leur obstination.
Un sursis Ce n’est pas un avis considéré « dans l’air du temps » par Alain Vidalies, secrétaire d’Etat aux transports et Alain Rousset, président de la région Nouvelle Aquitaine qui aurait pu entraver la marche d’un rouleau compresseur. Il en fallait bien plus !
Le 2 juin, par décret, le Premier Ministre déclare « d’utilité publique et urgents les travaux » nécessaires à la réalisation de ces lignes ferroviaires. Dès lors, les études complémentaires et les acquisitions foncières par expropriation peuvent se faire en toute légalité.
Interrogé par Sud-Ouest, Alain Vidalies justifie ainsi cette décision : « l’avis de l’enquête publique n'était que consultatif. Et nous avons eu un avis favorable du Conseil d'État. » Un avis jamais rendu public.
Le Conseil d’Etat en porte à faux En avril 2016, le Conseil d’Etat annule le décret déclarant d’utilité publique le projet de LGV entre Poitiers et Limoges sur un motif essentiel. Il considère que le dossier d’enquête « ne contient aucune information précise relative au mode de financement et à la répartition envisagés pour ce projet ».
Dans ces conditions, les magistrats estiment que cela « a eu pour effet de nuire à l’information complète de la population » et a « influencé la décision de l’autorité administrative ».
Or, dans le dossier de notre projet de LGV, les informations concernant les modalités de réalisation et de financement relèvent d’un quasi « copié/collé » du chapitre correspondant du dossier d’enquête d’utilité publique concernant le projet de LGV Poitiers-Limoges !
En toute logique le Conseil d’Etat, s’il veut rester en adéquation avec sa jurisprudence aurait dû donner un avis défavorable.
Qui va financer ? Pour le professeur Yves Crozet, spécialiste des transports, le système de concession retenu pour la LGV Tours-Bordeaux est inenvisageable pour notre projet car « le Conseil d'Etat dira qu'on ne monte pas un projet de concession si c'est pour verser 80 % d'aides publiques. »
Reste un partenariat-public-privé. Dans cette optique, le privé construirait la ligne, l'entretiendrait, mais, au final, qui paiera ? Pour ce spécialiste, « cette solution impliquerait que les collectivités financent 4 milliards alors qu'elles ont moins de budget […] Sauf à faire financer les 8 milliards par l'Etat. » Mais où va-t-il lui-même les trouver ?
Après un rapport du Sénat suggérant de «geler pendant une quinzaine d'années le financement des nouveaux projets de LGV » Alain Vidalies est auditionné par une commission sénatoriale. A juste titre, les sénateurs s’inquiètent de la dette abyssale de SNCF Réseau, 44 milliards d'euros ! Le secrétaire d’Etat tente de les rassurer: « pour de nouvelles LGV comme le Grand Projet ferroviaire du Sud-Ouest (GPSO), nous cherchons des solutions de financement entre nous, c'est-à-dire entre l'Etat, les collectivités et l'Europe. SNCF Réseau ne mettra pas au pot ». Quelques jours plus tard, Guillaume Pepy, PDG de la SNCF, le confirme : «nous ne pourrons pas financer compte tenu de notre niveau d’endettement ». Quant à l’Europe, elle ne participe financièrement qu’à la réalisation des tronçons transfrontaliers.
Fin octobre, une mission est mise en place par le gouvernement pour faire des propositions, tous les modèles financiers seront envisagés : « opérateurs privés, fonds souverains, Caisse des dépôts, fonds européens, recours à l'emprunt à long terme ». On évoque un emprunt sur plus de 50 ans, l’appel à des fonds Qatariens, un financement par la Chine…
Ces montages pour financer un projet inutile et non rentable ne feront qu’alourdir la dette que nous laissons aux générations futures. C’est le prix à payer pour satisfaire l’égo de quelques grands élus aux visions passéistes.
Dans tous les cas, si l’imagination est au pouvoir, le réalisme, lui, ne l’est pas !