LE MONDE | 09.10.2016 à 03h37 • Mis à jour le 09.10.2016 à 14h02 | Par Rémi Barroux et Yan Gauchard (Nantes, correspondant)
A l’évidence, les opposants au projet d’aéroport semblent avoir gagné leur pari d’une forte mobilisation, samedi 8 octobre, sur la ZAD, leur « zone à défendre ». Combien étaient-ils ? Plus de 40 000 selon eux, 12 800 selon la police dont l’hélicoptère a survolé toute la journée les petites routes, au sud de Notre-Dame-des-Landes (Loire-Atlantique).
« Avec une journée comme celle-là, tous ces soutiens qui sont toujours là, les familles avec les poussettes, les jeunes, les vieux, on repart galvanisés », jubile Sylvain Fresneau, agriculteur et figure historique de la lutte. Seule ombre au tableau, l’agression contre leur voiture par des personnes cagoulées dénoncée par des journalistes de France 3.
Après la consultation locale voulue par le président de la République, François Hollande, au cours de laquelle 55,17 % des votants se sont prononcés pour le transfert de l’actuel aéroport de Nantes Atlantique vers la nouvelle plate-forme du Grand Ouest en juin, il s’agissait de vérifier si le mouvement de solidarité était toujours fort.
De leur côté, les pro-aéroport ont mis en rapport le nombre de participants à la manifestation et le nombre de voix en faveur du transfert : « les habitants de la Loire-Atlantique ont été 260 000 à dire oui à NDDL », tweetait l’organisation Des Ailes pour l’Ouest, qui dénonce un « déni de démocratie ».
« Ce dossier est une aberration »
Alors que le premier ministre, Manuel Valls, a promis l’évacuation de la zone en octobre ou à l’automne, ses adversaires ont donc orchestré une nouvelle démonstration de force.
« Ce dossier, c’est une aberration, le symbole de ce que l’on ne veut plus pour notre société, énonce Marc (qui n’a pas souhaité donner son nom), menuisier de 54 ans, venu de Saint-Dolay (Morbihan). Il s’agit de l’un des derniers projets des trente glorieuses, époque où on se fichait des questions d’énergie, de climat. Ce modèle-là est dépassé. »
Quelques jours plus tôt, la ministre de l’environnement, Ségolène Royal, avait exprimé à nouveau son doute sur le projet, sur France 2. « L’aéroport de Notre-Dame-des-Landes a été surdimensionné, sans doute pour des intérêts financiers, ou parce qu’il fallait justifier qu’il fallait déplacer cet aéroport. (…) Certains élus locaux ou lobbys se sont obstinés. On aurait dû prendre le temps de bien écouter ce qui se passait », a-t-elle notamment déclaré.
Les manifestants ont planté dans la terre du bocage les bâtons que les organisateurs leur avaient demandé d’apporter, pour un « chant du bâton », faisant le serment de venir le reprendre en cas d’irruption des gendarmes mobiles sur la ZAD.
Pour les plus anciens, habitués des manifestations contre l’aéroport, cela ne fait aucun doute, il y aura affrontement. « Notre-Dame-des-Landes, cela reste un combat qu’ils ne veulent pas perdre et que nous, nous voulons gagner », résume Sylvain Fresneau.
Du Larzac à Notre-Dame-des-Landes
De 12 800 (selon la police) à plus de 40 000 (pour les organisateurs), les opposants au projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes, ont rejoint la ZAD, samedi 8 octobre, pour apporter leur soutien aux occupants. JEAN-SEBASTIEN EVRARD / AFP
Christian Roqueirol, éleveur de brebis venu avec une trentaine d’agriculteurs du Larzac, dans l’Aveyron, voit dans la lutte de Notre-Dame-des-Landes, « beaucoup de similitudes » avec son combat des années 1970.
« C’est une lutte paysanne contre un projet inutile, mais nous n’étions qu’une dizaine de squatters dans le Larzac au début, alors que là ils sont des centaines avec des dizaines de milliers de soutiens dans tout le pays, dit cet ancien responsable de la Confédération paysanne de 62 ans. Je pense qu’ils vont gagner, je ne vois pas comment le gouvernement peut les évacuer. Mitterrand avait compris et arrêté les projets d’extension du camp militaire du Larzac et de la centrale nucléaire de Plogoff [Finistère]. »
Agriculteur et responsable du réseau COPAIN 44 (Collectif des organisations professionnelles agricoles indignées par le projet d’aéroport), Vincent Delabouglisse témoigne aussi de la forte mobilisation paysanne contre le projet d’aéroport et veut croire qu’il ne se fera pas.
« Il y aura une telle opposition en France que même s’ils arrivaient à vider la ZAD, ils ne pourraient pas tenir le terrain longtemps. Nous, on le connaît par cœur, tous les recoins, les chemins, on reconstruira toujours », dit ce responsable agricole qui promet deux cents tracteurs sur la zone dans l’heure qui suivrait l’intervention et plusieurs centaines de tracteurs pour bloquer des cibles dans tout le pays. « Tout est organisé, tout le monde sait déjà ce qu’il aura à faire », ajoute sereinement Vincent Delabouglisse.
« Droit de retrait »
Les syndicalistes CGT du groupe Vinci et ceux de l’aéroport de Nantes Atlantique savent aussi ce qu’ils feront en cas d’intervention et l’ont annoncé sous les applaudissements du public. « Nous nous préparons à bloquer l’aéroport s’ils viennent ici sur la ZAD », explique ainsi Tristan Leroy, responsable cégétiste. Francis Lemasson, de la CGT Vinci, prévient lui aussi : « Nous appelons tous les salariés qui seraient appelés à travailler sur le chantier à faire valoir leur droit de retrait, car ils seraient en danger, obligés de travailler sous la protection des gendarmes. »
Sur le stand du Collectif des élus doutant de la pertinence de l’aéroport, Françoise Verchère, la porte-parole, rencontre un vif succès. Elle explique à l’assistance comment envoyer des questions sur le Schéma de cohérence territoriale de la métropole Nantes Saint-Nazaire (SCOT), celui-là même qui doit permettre de répondre aux mises en demeure européennes, sur la présentation au public des impacts cumulés des différents projets, aéroport, dessertes, réseau ferré, etc. Parmi les questions : « Comment peut-on parler de bilan carbone neutre pour l’aéroport, où est le calcul précis ? » ; « Où plante-t-on les 100 000 arbres cités p. 48 [du document] ? »… »
Plus tard, dans la soirée, des milliers de personnes faisaient la fête sur la zone. Les zadistes ont demandé à un maximum de personnes de rester dimanche pour construire de nouvelles infrastructures pour renforcer les capacités d’accueil en cas de tentative d’évacuation de la zone par les gendarmes. Une hypothèse qui reste bien présente dans l’esprit des anti-aéroport.