Un musée largement financé par Areva a ouvert dans le Limousin, sur une ancienne mine d’uranium et à proximité de sites de stockage de déchets radioactifs. Les visiteurs sont invités à s’extasier devant ce glorieux passé extractif et les prouesses technologiques de l’industrie nucléaire française. Partout où le groupe développe ses activités minières, du Limousin au Grand Nord canadien en passant par le Niger et le désert de Gobi, on retrouve pourtant les mêmes inquiétudes sur les pollutions générées et la mise en danger de la santé des mineurs et des populations. Mais cela, les visiteurs du musée « Urêka » ne le verront pas.
« Entrez dans l’aventure de l’uranium ! » Tout sourire, un mineur saisit la main d’un enfant émerveillé, sous le regard extasié de sa famille. En arrière-plan, un autre mineur, musclé et concentré, fore un filon d’uranium. Une scène de propagande à la gloire du nucléaire nord-coréen ou de l’atome iranien ? Du tout. Nous sommes dans le Limousin, au sein d’Urêka, le « musée interactif de la mine » ouvert depuis l’été 2013 à Bessines, au cœur de l’ancienne zone minière exploitée par la Cogema, l’ancêtre d’Areva, champion du combustible nucléaire français. « L’épopée française de l’uranium a commencé en Limousin en 1948. Aujourd’hui encore, l’aventure continue… », présentent les dépliants. La dernière mine d’uranium de la région a fermé en 2001. Outre le musée, le site de Bessines sert aussi pour le stockage de dizaines de milliers de tonne de déchets radioactifs de « très faible activité » (TFA), générés par l’extraction d’uranium.
Pour « son » musée, Areva a dépensé 8,5 millions d’euros sur les 10 millions de budget, le solde revenant à la charge du Conseil régional du Limousin. Ce nouveau lieu prétend faire revivre aux visiteurs la dimension « humaine » et technologique de l’exploitation de l’uranium. « Ce centre d’interprétation répond au questionnement du public sur la radioactivité, les rayonnements, les risques et enjeux en les contextualisant à travers un volet historique et technique », assure un communiqué de l’entreprise [1]. Une « pédagogie » qui gomme au passage toute interrogation politique sur ses conséquences pour la santé et le bien-être des populations, en France et ailleurs.
Ce que vous ne verrez pas dans les animations 3D
Ce dont les dépliants et les attractions du musée ne parlent pas, c’est de l’impact environnemental et sanitaire de l’exploitation de l’uranium, qui continue à se faire sentir dans toute la région. Ni de ce que deviendra l’uranium enrichi puis le plutonium produit par les centrales atomiques. La zone de Bessines où est implanté Urêka (entre Limoges, Guéret et Châteauroux), abrite encore plus de 200 000 tonnes d’uranium « appauvri » et autres déchets nucléaires. Malgré un plan d’action imposé en 2009 à Areva, la pollution radioactive persiste, notamment dans les rivières, les nappes phréatiques et les zones humides. Dix ans plus tôt, la Criirad (Commission de recherche et d’information indépendantes sur la radioactivité) avait dénoncé de « très graves irrégularités » dans le stockage des déchets nucléaires, entreposés « dans des conditions qui ne seraient pas acceptées pour les ordures ménagères ».
Ce que les animations 3D du musée n’expliqueront pas, c’est que le suivi médical et épidémiologique des travailleurs et des habitants de la région est demeuré quasi inexistant. Une étude scientifique officielle a cependant reconnu une incidence supérieure à la moyenne de cancers du poumon et du rein chez les anciens mineurs, mise en relation avec une surexposition au radon. Les enfants émerveillés ne sauront pas que le mineur souriant qui leur tend la main aura davantage de chance de mourir d’un cancer que leurs parents. De nouvelles études épidémiologiques viennent enfin d’être été lancées.
Après le Limousin, le Niger
« Explorez l’uranium au présent », propose Urêka. L’uranium au présent, cela se passe notamment au Niger. Les dernières mines d’uranium du Limousin ont été fermées en raison de la découverte de filons plus importants et plus profitables en Afrique. Ce pays représente aujourd’hui 30% de l’approvisionnement en uranium d’Areva, qui y est le premier employeur privé. Depuis plusieurs mois, le gouvernement nigérien ne cache pas sa volonté de renégocier son partenariat avec l’entreprise française, qualifié de « très déséquilibré ». Les autorités estiment que c’est plus d’un milliard de dollars qui ont échappé au Niger en quarante ans. Areva assure de son côté que 70% de la valeur de l’uranium extrait revient « directement ou indirectement » au Niger et vante son « partenariat durable » avec le pays. Début octobre, un audit officiel des contrats miniers d’Areva a été lancé, dont les résultats sont attendus prochainement.
Ce bras de fer entre l’État nigérien et le groupe nucléaire français est aussi à l’arrière-plan de la libération récente des quatre otages français, employés du groupe nucléaire et d’une filiale locale de Vinci [2] Auparavant, le groupe français aurait menacé de fermer une de ses mines et de réduire ses investissements dans le pays [3].
Radioactivité et cancers
Quoiqu’il advienne des négociations sur le partage des revenus de l’uranium, côté impact sanitaire et environnemental des mines, le déni semble toujours prévaloir. La société civile a organisé le 12 octobre une manifestation à Arlit, ville minière du Nord nigérien, pour dénoncer la dégradation environnementale et les problèmes de santé engendrés par les activités d’Areva. Également en cause, la surexploitation des nappes phréatiques pour traiter les minerais, dans une région où cette ressource manque cruellement. L’importance de cette manifestation a été immédiatement minimisée par Areva, qui a démenti en bloc les allégations de la société civile locale sur les taux de radiation constatés dans la ville et sur la réutilisation de matériaux contaminés issus de mines (lire ici).
En 2007, des experts de l’association Sherpa, de la Criirad et de Médecins du monde s’étaient rendus sur place et avaient publié un rapport accablant sur le niveau de radioactivité constaté dans la région et les risques sanitaires encourus par les travailleurs et la population. Plutôt que d’engager des poursuites judiciaires, Sherpa a alors choisi – contrairement à la Criirad – la voie d’un partenariat « constructif » avec le groupe nucléaire français. Ce qui s’est révélé être une impasse, particulièrement depuis l’arrivée du Luc Oursel à la présidence du directoire, à la place d’Anne Lauvergeon. Sherpa s’est retiré avec fracas du partenariat fin 2012, dénonçant une opération de pur affichage.
Batailles judiciaires
En parallèle, la bataille judiciaire fait rage. Le 25 octobre, la justice française a annulé un jugement de première instance historique qui reconnaissait la « faute inexcusable » du groupe dans le décès de Serge Venel à 59 ans, d’un cancer du poumon, après avoir travaillé pendant six ans dans une mine nigérienne. La Cour d’appel de Paris a estimé qu’Areva ne pouvait être mise en cause en tant que société mère, et que seule la Cominak, filiale locale dont Areva détient 34% du capital, était juridiquement responsable. Un arrêt qui illustre le problème plus général de l’impunité de sociétés mères face aux atteintes aux droits humains ou à l’environnement causées par leurs filiales (lire les commentaires de Marie-Laure Guislain de Sherpa). La Cour de cassation devrait être saisie. D’autres anciens salariés français d’Areva ont lancé des procédures similaires.
Les travailleurs gabonais et nigériens et leurs familles, quant à eux, risquent d’attendre encore plus longtemps (lire notre enquête Comment Areva laisse mourir ses travailleurs au Niger). Alors que les mines d’Areva sont ouvertes depuis les années 1970, seuls sept dossiers de maladies professionnels ont été acceptés à ce jour par la sécurité sociale nigérienne, dont cinq concernent des Français expatriés. Quant aux Observatoires mis en place par Areva, ils n’auraient eux aussi traité que des dossiers de travailleurs français, bien que les travailleurs nigériens soient beaucoup plus nombreux et beaucoup plus exposés. Le groupe a accepté d’indemniser dans ce cadre les familles de deux anciens expatriés, en ne reconnaissant qu’une « présomption » de contamination par l’uranium. A quand un musée à la gloire des pionniers de l’uranium africain ?
Après les Africains, les inuits canadiens
Si elle continue à s’intéresser au Niger, où elle prévoit d’ouvrir une nouvelle mine à Imouraren avec des partenaires chinois, Areva cherche aussi à diversifier ses sources d’approvisionnement. Le groupe doit ouvrir une autre mine géante d’uranium, à Trekkopje en Namibie. Le début de la phase d’exploitation ne cesse d’être repoussée, en raison officiellement de la chute du prix de l’uranium depuis l’accident de Fukushima.
Fin octobre 2013, en pleines négociations avec le Niger, Areva a également signé, sous l’égide du ministre des Affaires étrangères Laurent Fabius, un contrat en vue de l’exploitation de l’uranium du désert de Gobi, en Mongolie. Un contrat là aussi contesté par les militants écologistes locaux, qui ont déjà dénoncé la pollution radioactive occasionnée par les projets pilotes d’Areva dans le pays (lire ici).
Mais ce sont surtout les visées d’Areva sur le Grand Nord canadien qui inquiètent aujourd’hui les militants antinucléaires. Le groupe français projette en effet d’ouvrir une nouvelle mine d’uranium dans la province du Nunavut [5]. Au vu de l’expérience des autres pays et de la fragilité des écosystèmes locaux, ce projet pourrait tourner au désastre pour l’environnement et le mode de vie traditionnel des Inuits. À la pollution des sols et des eaux s’ajouteront les bouleversements sociaux que ne manquera pas d’engendrer un projet d’une telle ampleur.
Areva « plus vert que vert »
Les ONG locales dénoncent également un processus de décision opaque et entaché d’irrégularités, puisque les lois du Nunavut prévoient un vote public les projets d’exploitation de l’uranium, lequel n’a jamais eu lieu. Le réseau Sortir du nucléaire a fait circuler une pétition contre les projets d’Areva au Nunavut : « Après l’Afrique, Areva s’en prend aux Inuit : je dis non ! ». Déjà signée par 30 000 personnes, elle sera remise aux cabinets ministériels concernés. Actionnaire principal d’Areva, le gouvernement français a le pouvoir et la responsabilité d’obliger le groupe à sortir du déni.
De tout cela, le musée d’Urêka ne parle pas. C’est pour cette raison qu’Areva a été nominée dans la catégorie « plus vert que vert » au Prix Pinocchio, organisé par les Amis de la terre, le Crid, Peuples Solidaires, en partenariat avec Radio Mundo Real, Basta ! et l’Observatoire des multinationales. Les votes sont ouverts jusqu’au 18 novembre 2013.
Olivier Petitjean
[1] A lire sur le site d’Areva.
[2] Lire ici et ici. Les deux principaux artisans de cette libération sont le président du Niger Mahamadou Issoufou, ingénieur des mines formé en France et ancien directeur de la mine d’Arlit, et Mohamed Akotey, ancien rebelle touareg et ancien ministre, président du Conseil d’administration d’Imarouren SA, la nouvelle mine d’Areva dans le pays.
[4] Au Canada (second producteur mondial d’uranium derrière le Kazakhstan), le groupe Areva a déjà des intérêts dans des mines d’uranium de la province du Saskatchewan. Selon la presse canadienne, dans le cadre de la négociation du traité de libre commerce UE-Canada (qui a défrayé la chronique en raison du bras de fer autour des sables bitumineux), le Canada pourrait accepter de lever les restrictions aux investissements étrangers dans l’uranium, de sorte qu’Areva pourra détenir des parts majoritaires dans de nouvelles mines.
Source : http://www.bastamag.net/Un-parc-d-attraction-a-la-gloire