Publié le 8 février 2016 dans Transports Par Gaël Jeanson.
Le « tout TGV » a été une fausse bonne idée.
Initié en 1983 avec le lancement de la ligne Paris-Lyon, le programme ligne grande vitesse (LGV) a doté la France du quatrième réseau ferré mondial (2024 km de voie). Mais la relative prudence budgétaire des débuts laisse aujourd’hui place à une inflation de projets qui fait désormais du TGV un projet qui n’est plus forcément rentable, et se trouve même facteur d’externalités négatives.
Un projet rentable à l’origine
Le choix de la grande vitesse ferroviaire en France fut d’abord technique. Inspiré de ce qui avait été fait au Japon, le projet regroupa ensuite recherche, industrie et exploitant. Le premier projet (la ligne Paris-Lyon), pourtant d’un coût de 2 milliards d’euros fut un véritable succès commercial, ce qui impulsa la construction de trois autres lignes : la ligne Atlantique (en 1989 pour la branche ouest vers Le Mans et septembre 1990 pour la branche sud-ouest vers Tours) pour un coût de 3 milliards d’euros.
Le Commissariat au développement, obligé par la loi LOTI de 1982 à réaliser une évaluation post-projet, dresse un bilan socio-économique positif de ces projets initiaux. À des gains de temps élevés pour les voyageurs, s’ajoute le constat d’un trafic et de gains de productivité dopés, ainsi qu’une diminution notable des émissions de CO2.
Cette efficacité économique et technique est telle que le TGV devient une source de rayonnement économique incarnant le savoir-faire à la française. Le TGV est un des rares trains rapides dans le monde à avoir été exporté : Alstom a vendu son TGV en Corée du Sud (le Korea Train Express a été inauguré en 2004) et en Espagne (AVE).
Un emballement des projets
Les années 1990 donnent un coup d’accélérateur aux projets de ligne à grande vitesse. En 1993, la LGV Nord, avec 350 km et pour un coût de 3 767 millions d’euros est lancée, quand l’interconnexion Nord-Sud en Île-de-France est construite en 1994-1996 (102 km pour 1 579 millions d’euros). D’autres projets suivront jusqu’à 2009, année de la loi Grenelle I qui prévoit 14 nouveaux projets d’infrastructures : c’est près de 2000 km de voie qui sont prévues à la construction d’ici 2020.
Avec cet étalement, apparaissent des problèmes de rentabilité. Les conditions de pertinence des projets LGV se sont perdues au fil du temps. Le réseau devient trop grand à entretenir, rendant la dette de RFF insoutenable, et conduisant cette entreprise à augmenter les péages qu’elle impose à la SNCF pour l’utilisation des voies (allant jusqu’à représenter aujourd’hui 20 à 30% des coûts de cette dernière).
Pour être rentable, une ligne doit connecter des bassins de population importants avec des trajets à grande vitesse compris entre 1h30-3h, sans arrêts intermédiaires, et avec de grandes fréquences de circulations. Or avec l’étalement croissant du réseau, c’est de moins en moins le cas. Le taux d’occupation des rames, primordial lui aussi à la rentabilité du TGV, décroît également du fait de cet étalement.
Le TGV n’est donc plus dans le schéma qui a fait son succès à l’origine. Mais si ses conditions de rentabilités sont connues, pourquoi ne sont-elles pas respectées ?
Un processus décisionnel peu rationnel…
La rentabilité de ces projets qui, comme tout investissement public est soumis à évaluation en amont et après réalisation, semble avoir été systématiquement surestimée afin que l’investissement puisse se réaliser. Ce biais optimiste est essentiel pour la validation du projet, la loi interdisant la réalisation d’un investissement non rentable.
Par ailleurs, à chaque projet de construction de LGV, on assiste à une véritable compétition des élus locaux qui souhaitent tous voir le TGV passer près de leur commune. Les multiples dérogations qui en découlent font petit à petit perdre au projet sa pertinence.
… Pour un des projets peu pertinents
Pour 40% de son temps de circulation, le TGV roule sur le réseau classique lent. Roulant à la même vitesse qu’un TER, sa circulation est cependant beaucoup plus onéreuse.
Par ailleurs, le TGV dans son schéma actuel semble même être vecteur d’inégalités territoriales. Les grandes agglomérations étant seules reliées, celles-ci se polarisent au détriment d’une ruralité laissée de côté. Pour ne pas discriminer les territoires, le TGV devrait donc être complétés d’un projet route et voies lentes parallèles.
Source : https://www.contrepoints.org/2016/02/08/237932-pourquoi-le-tgv-nest-il-plus-rentable