Suite à un énorme marathon médiatisé destiné à tenir l’opinion mondiale en haleine, l’Accord de Paris a été signé entre les parties qui s’inscrit dans le cadre de la Convention Climat signée à Rio en 1992 et est censé répondre au défi prométhéen du changement climatique actuellement en cours. Cet Accord qui constitue certes un succès diplomatique évident pour notre pays, vise en fait à rassurer l’opinion quand à la capacité des dirigeants de la planète à résoudre ce problème qu’ils ont contribué à créer. Pourtant, dès le départ, ceux qui depuis des années ont consacré leur vie à réfléchir sur cette énorme question ne pouvaient qu’être habités par un profond scepticisme en raison du refus, tant du monde politique qu’économique et académique de l’aborder dans sa dimension la plus tragique. Au vu des sources de financement de cette grande conférence internationale réunissant les puissants de ce monde dont le bilan carbone n’a pas encore été fait, on ne pouvait qu’être conforté dans ce sentiment. La lecture de ce document officiel ne pouvait d’ailleurs que le confirmer. Plusieurs remarques peuvent être faites à ce propos.
En premier lieu, observons que les émissions de GES et leurs conséquences ne résument pas à elles seules la crise écologique majeure que connaît notre planète depuis une cinquantaine d’années. En effet, il existe d’autres dimensions de cette crise telles que la surconsommation d’eau douce, la surexploitation des sols et des océans ou la chute spectaculaire de la biodiversité partout dans le monde. S’en tenir à ces émissions, c’est la réduire aux questions d’énergie et de pollution.
Si l’on se limite à ce point de vu, la lecture de l’Accord de Paris laisse d’ailleurs l’impression que l’on n’a pas voulu prendre le problème à bras le corps. Le choix du vocabulaire est à ce titre tout à fait révélateur de ce refus. Pour respecter l’objectif de se tenir au dessous de 2°, le terme de réduction des émissions sans doute jugé trop contraignant pour les nouveaux pays industriels a été écarté au profit de celui d’atténuation qui constitue un euphémisme. Rappelons à ce sujet que le protocole de Kyoto ne s’était pas fixé un objectif de température à ne pas dépasser mais une obligation pour les pays développés à revenir aux quantités émises en 1990 suivant un échéancier précis qui n’a d’ailleurs jamais été respecté par la majorité des pays signataires, sans compter ceux qui s’en sont retiré comme l’Australie et le Canada. Croire qu’il est actuellement possible scientifiquement et techniquement de piloter la planète pour arriver à respecter cet objectif de température relève d’un raisonnement illusoire qui est celui de la géoingéniérie. Comme l’illustre son article 10, tout l’imaginaire des signataires est d’ailleurs dominé par le recours magique à la Technique seule capable de nous sauver du désastre alors qu’elle nous y a plongés. Comme le dispose l’article 10-5 de l’Accord, « il est essentiel d’accélérer, d’encourager et de permettre l’innovation pour une riposte mondiale efficace à long terme face aux changements climatiques et au service de la croissance et du développement durable ». On ne peut être plus clair et plus aveugle quant aux causes profondes du réchauffement climatique soulignées dès le début des années 70 par les esprits les plus prophétiques de la communauté savante internationale !
On comprend alors mieux pourquoi cet accord ne fait aucune mention des conséquences climatiques mondiales entrainées par l’expansion effrénée du trafic aérien et maritime, celle de l’industrie automobile ainsi que d’une manière générale l’exploitation continue des ressources fossiles dont on ne cherche pas à tarir le financement. Or cette explosion du commerce international fortement émettrice de gaz à effet de serre est la conséquence directe de la multiplication des échanges économiques mondiaux. Ici on touche à la schizophrénie généralisée caractérisant la manière dont est abordée la crise écologique depuis plus de quarante ans en prétendant chercher à la résoudre sur le long terme tout en donnant en fait la priorité aux intérêts économiques du court terme. Nous préférons alors soigner cette maladie en inventant des oxymores comme « la croissance verte » ! Et cet aveuglement continue aujourd’hui avec l’expansion de l’industrie numérique qui n’est pas du tout « immatérielle » contrairement à ce que nous assène une propagande officielle !
Enfin, il y a la question démographique concernant plus particulièrement des pays comme la Chine, l’Inde et l’Afrique qui n’est jamais abordée alors que combinée à celle de la croissance de nos moyens d’intervention sur les ressources naturelles alors que son impact sur les puits de carbone avec la déforestation de pays entiers est énorme.
Aujourd’hui, l’humanité semble être arrivée au bout d’un chemin suivi en aveugle et qui l’a menée à l’âge de l’anthropocène. Face à cette réalité qui l’a dépasse, ses yeux commencent à se dessiller mais ses réactions sont bien trop lentes au regard des changements radicaux que supposent des réponses politiques autrement plus ambitieuses que celles de l’Accord de Paris. De ce point de vue là, il faudrait d’abord que les pays les plus développés commencent par remettre en question leur mode de vie insoutenable et pourtant donnés en exemple à la terre entière. Une remise en question forcément douloureuse mais beaucoup moins que l’inéluctable effondrement global de nos sociétés.
Simon CHARBONNEAU