Publié le 01-10-2015 à 16h34Mis à jour le 02-10-2015 à 10h02 Par Grégoire Pinson
Le consortium Lisea (Vinci, Caisse des dépôts…) qui doit exploiter la LGV Tours-Bordeaux, a adressé un courrier au Premier ministre. Il dénonce la mauvaise volonté de la SNCF.
Les discussions sur la ligne à grande vitesse (LGV) qui reliera Bordeaux à Paris en 2017 prennent un tour très politique. Après la lettre adressée par Alain Juppé à Manuel Valls, c’est le consortium baptisé Lisea chargé de la réalisation et de la future exploitation de la ligne qui saisit le Premier ministre. Objectif : mettre la SNCF sous pression. Lisea, composé de Vinci, la Caisse des dépôts, Meridiam et l’investisseur Ardian, sollicite une « implication active » du Premier ministre et de son conseiller technique, Stéphane Lecler, afin d’ « éviter les effets dévastateurs et irréversibles, y compris pour l’Etat, d’une situation de statu quo », selon un courrier obtenu par Challenges.
Le problème? Laurent Cavrois, directeur de Lisea, le détaille dans une autre lettre adressée à SNCF Réseau et communiquée à Matignon. Les propositions de trafic de la SNCF entre Paris et Bordeaux sont insuffisantes, selon lui. Et par voie de conséquence, les recettes issues des péages acquittés par la compagnie ferroviaires ne permettront pas d'équilibrer le projet. Au dernier pointage, le 15 septembre, la SNCF projetait de réaliser 36 allers-retours quotidiens sur le nouvel axe Sud-Ouest toutes destinations confondues… alors qu’elle en organise 37 aujourd’hui ! L’opérateur ferroviaire prévoit en effet de se contenter de densifier le trafic par l'utilisation de rames à deux étages.
Un risque financier important
Lisea a fait ses calculs: ses coûts fixes s’élèvent à 250 millions d’euros annuels, alors que les montants que prévoit de verser la SNCF, dans le schéma actuel, seront inférieurs à 210 millions d’euros. Cette proposition « non seulement ne met pas le concessionnaire en situation de refinancer une dette très importante, dont près de 2 milliards d’euros sont garantis par la sphère publique, mais de plus, met gravement en péril la poursuite des tirages sur les crédits », écrit Laurent Cavrois. En clair, la vingtaine de banques qui financent actuellement le consortium (BNP Paribas en tête, suivie de la Société Générale et de caisses régionales du Crédit agricole) s’inquiètent d’un possible déraillement financier de la LGV. Les établissements menacent de fermer le robinet à crédit, ce qui mettrait en péril l’investissement total de 8 milliards d’euros consenti pour cette desserte accélérée de Bordeaux. Laurent Cavrois souligne que le danger est imminent: les prêteurs, dont la Banque européenne d’investissement (BEI), doivent valider les équilibres financiers du projet en ce début octobre.
Des négociations tendues
Outre le cabinet de Manuel Valls, Lisea a tiré le signal d’alarme auprès de la direction générale des Infrastructures du ministère des Transports et de la Mission d’appui aux partenariats public-privé de Bercy, destinataires du courrier. Les concessionnaires ont ainsi décidé de mettre la SNCF sous pression, dans la dernière ligne droite des négociations. Des discussions ont en effet eu lieu tout au long de l’été, y compris en direct avec Guillaume Pepy, le patron de la SNCF. Pour boucler un accord dans les prochains jours, Lisea veut faire bouger trois curseurs. Côté recette, le consortium exige que la SNCF accroisse le nombre de ses trains sur la ligne - ils devront passer, pour le seul Paris-Bordeaux, de 13 à 19 aller-retours par jour. Côté dépense, il demande à l’Etat et à SNCF Réseau (l’ex-RFF) de réduire de moitié le coût des garanties qu’ils accordent à la concession pour ses emprunts. Enfin, Lisea souhaite que l’accord cadre avec la SNCF se limite à 10 ans au lieu des 25 prévus initialement, afin de pouvoir rebattre les cartes. Sur ce dernier point, la SNCF semble prête à signer – même si, juridiquement, aucun accord n’est formalisé. Pour le reste, la bataille promet d’être rude.