Jean-François Pecresse/Editorialiste/Le 27/09/2015 à 22h51
Un déni de démocratie participative, une atteinte portée à l’environnement, un projet économiquement irrationnel : c’est une décision triplement incompréhensible qu’a rendue ce week-end le gouvernement de Manuel Valls en donnant un feu vert à la construction d’une ligne ferroviaire à grande vitesse (LGV) reliant Bordeaux à Dax et à Toulouse. Ce faisant, l’exécutif foule aux pieds le résultat de la longue consultation citoyenne menée, pendant toute la fin de l’année 2014, dans le cadre de l’enquête publique. Un résultat pourtant sans ambiguïté puisque 95 % des 14.000 contributions ont été défavorables à ce projet de LGV. Et que, fait assez rare pour être relevé, la commission d’enquête publique a fini par rendre un avis négatif. Quelques mois après avoir tiré pour leçon de l’épisode tragique du barrage de Sivens la nécessité de mieux tenir compte de l’avis des citoyens, ce gouvernement commet un acte d’autorité, sans pouvoir se prévaloir du soutien des experts, juste du poids de quelques grands élus au demeurant contredits par nombre d’élus locaux. A quoi bon conserver des enquêtes publiques si l’on n’en tient pas compte ?
L’incohérence s’invite partout dans ce dossier. L’autorisation de cette LGV est d’abord un contre-sens écologique. Appelée à couper en trois endroits la vallée du Ciron, et trente de ses affluents, cette ligne à l’emprise territoriale importante va perturber tout un écosystème humide, un microclimat fragile, à l’origine du sauternes. Car c’est dans le déplacement des brouillards du matin que se joue, à l’automne, le miracle du sauternes, fruit d’un champignon, Botrytis cinerea, qui vient se déposer sur les raisins. En transperçant les forêts multimillénaires — par ailleurs précieux réservoirs génétiques — qui protègent le Ciron du soleil, cette LGV va mettre en grave danger ce patrimoine qu’est le vin de Sauternes et Barsac. Que le maire de Bordeaux, Alain Juppé, figure parmi ses fossoyeurs est déconcertant. Alors qu’elle avait fait beaucoup d’efforts pour porter les couleurs de tout un vignoble portant son nom, la capitale girondine sacrifie une partie de l’économie viticole à son rêve de métropole urbaine.
L’incohérence est aussi économique. Devant les difficultés du TGV, face à l’explosion du coût des grandes infrastructures, on pensait en avoir fini avec l’obsession de la très grande vitesse lorsque celle-ci franchit les limites du rationnel. C’est le contraire qui se produit : ni les avertissements de la Cour des comptes, ni les observations de la commission d’enquête publique sur la rentabilité incertaine de cette ligne à 8 milliards d’euros, ni les doutes des experts sur l’utilité de cette ligne auront pu empêcher ce qui ressemble, à quelques semaines des régionales, à une annonce très électoraliste.
Source : http://www.lesechos.fr/idees-debats/editos-analyses/021358762019-une-ligne-a-contre-sens-1159632.php