Arnaud Montebourg voulait redresser la France en exploitant les hydrocarbures non conventionnels. DR
Le 07 avril 2015 par Valéry Laramée de Tannenberg
Le Figaro publie, en exclusivité, le rapport «enterré par le gouvernement», commandité par l’ancien ministre du redressement productif sur les perspectives ouvertes par les nouvelles technologies d’exploration et d’exploitation des hydrocarbures non conventionnels. Un document caricatural tant sur le plan environnemental qu’économique. Morceaux choisis.
L’ancien ministre du redressement productif a toujours été un chaud partisan de l’exploitation des hydrocarbures non conventionnels. Et il le prouve, une fois encore. Pour tenter de soulever le couvercle mis sur les projets d’exploration et d’exploitation de gaz de schiste par la loi Jacob de 2011, Arnaud Montebourg avait commandité, mi-2012, un rapport à un bataillon d’experts. Leur mission: trouver des alternatives à la fracturation hydraulique bannie et, dans la foulée, bâtir un modèle d’affaires capable, à lui tout seul, de redresser l’économie française. C’est chose faite.
En moins de 70 pages, les experts de Bercy, de l’Institut français du pétrole, de l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) et du consultant Roland Berger[1] atteignent pleinement leur objectif. Et à les lire, on se demande pourquoi la France n’a pas déjà débuté ses campagnes de forage. Qu’on en juge plutôt.
Un potentiel forcément considérable
Tout d’abord, le potentiel français est absolument considérable. «Le Bassin parisien présente des similitudes avec le gisement américain dit du Bakken Shale. […] Le contenu organique de la roche-mère dans les deux gisements et le niveau de maturité étant similaires, cela laisse espérer un potentiel largement supérieur à celui de ce gisement américain», lit-on page 45. «L’ordre de grandeur des ressources en place est ainsi estimé aux alentours de 16 milliards d’équivalent barils de pétrole, ce qui correspondrait à plus de 26 ans de notre consommation nationale.» Un détail: en se basant sur la même littérature technique et scientifique, les experts du département américain à l’énergie (EIA) estiment la totalité du potentiel français à 5 milliards d’équivalent barils. Passons.
Exploiter cette fabuleuse richesse n’est ni sorcier, ni nocif: de 6.000 à 18.000 puits suffisent, dont les deux tiers dans le sud-est du pays (Cévennes, Ardèche), où précisément les connaissances géologiques sont infiniment moindres que dans le Bassin parisien. Autre détail.
Pas de problèmes
Les problèmes environnementaux ou sanitaires? Balayés. Les émissions des puits? Les rédacteurs du rapport Montebourg ne mentionnent qu’un seul article. Sidérant quand on connaît la richesse de la littérature sur le sujet et l’absence de consensus scientifique. Publiée en août 2013, l’étude de David Allen (université du Texas) et al. estime à 0,42% le taux de fuite moyen des puits d’exploitation de gaz. C’est très inférieur à d’autres évaluations également publiées par les comptes rendus de l’académie américaine des sciences (Pnas). Les travaux de Robert Howarth (université Cornell de New York) ou de Tom Wingley (NCAR) sont, eux, passés par pertes et profits. Aucune évocation non plus des émissions fugitives d’hydrocarbures dont les impacts sur les bronches des riverains ou la couche d’ozone stratosphérique sont pourtant avérés, y compris par la Commission européenne.
La destruction du paysage? Comment y songer un seul instant alors qu’elle «se limite aux têtes de puits qui, dans le cas des gaz de schiste, ont une hauteur de 1,8 mètre». Les «experts» auront oublié, sans doute, qu’il faut ouvrir des routes, défricher et aménager des plates-formes d’environ 2 hectares pour installer la moindre tête de puits.
Les pollutions des nappes phréatiques? Un faux problème: «La mise en œuvre de bonnes pratiques et de réglementations contraignantes, sous le contrôle de l’administration, permet de maîtriser la plupart des risques identifiés». On est prié de ne pas rire. D’ailleurs, la technologie apporte de nouvelles solutions. Le rapport préconise ainsi l’utilisation d’un nouveau fluide miracle pour stimuler la roche sans polluer: le propane non inflammable.
Un gaz à effet de serre pour solution
Développée par la société américaine Ecorpstim, la fracturation par heptafluoropropane (c’est son vrai nom) n’a jamais été utilisée par les compagnies gazières à l’échelle industrielle. Il est vrai que cette technologie est bien plus coûteuse que la fracturation hydraulique. De plus, le R227ea (autre petit nom du propane non inflammable) est un très puissant gaz à effet de serre. Son potentiel de réchauffement global est, sur un siècle, 3.500 fois supérieur à celui du CO2. Ces inconvénients n’étaient d’ailleurs pas passés inaperçus aux yeux des rédacteurs du rapport Bataille-Lenoir sur les gaz de schiste[2].
Mais faut-il s’arrêter à pareilles futilités? Evidemment non, soutient le rapport Montebourg. Car en exploitant ses gisements énormes, la France pourrait créer jusqu’à 225.000 emplois et bénéficier d’une rente pouvant flirter avec les 300 milliards d’euros, sur 30 ans. Pourtant favorables à l’exploitation des hydrocarbures non conventionnels, Christian Bataille et Jean-Claude Lenoir étaient restés nettement plus prudents.
Dans leur rapport à l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST), ils avaient précisément rappelé que, «si aux Etats-Unis, l’impact économique de l’exploitation des hydrocarbures de roche-mère est avéré, cet impact est toutefois difficilement transposable à l’Europe, en l’absence de connaissance précise de nos réserves».
Le rapport Montebourg a donc été jeté aux oubliettes sitôt rédigé, s’offusque Le Figaro. La seule surprise est qu’il en soit sorti, tant la collection d’énormités qu’il recèle le décrédibilise ad vitam.
[1] Ces derniers ont beaucoup travaillé, aussi, avec les rédacteurs du rapport Lenoir-Bataille sur les alternatives à la fracturation hydraulique.
[2] Les techniques alternatives à la fracturation hydraulique pour l'exploration et l'exploitation des gaz de schiste, rapporteurs Christian Bataille (député PS du Nord) et Jean-Claude Lenoir (sénateur UMP de l'Orne)